La saison des marchés au gras dans le Gers commence en novembre et s’étend jusqu’à fin mars. Voilà en effet le bon moment pour mettre en bocaux les foies gras fraîchement achetés. Ici, dans ma région, c’est bien sûr une tradition. Le foie gras se consomme ainsi toute l’année, bien loin de la folie qui s’empare de la France pour les fêtes de fin d’année. Du foie gras partout, à en gaver les supermarchés et peu importe la provenance douteuse…mais c’est un autre sujet.
Gimont ne se situe qu’à 40 minutes de Toulouse et, chaque automne/hiver, semble être le rendez-vous de plus en plus récurrent des gourmets toulousains en quête de bestioles à palmes. Le dimanche matin, s’opère un étrange manège sous la halle : la grasse matinée. L’autre temple du foie, c’est bien sûr Samatan, pour son plus grand marché au gras du monde, le lundi matin :-p
J’ai eu le plaisir d’assister à un atelier canard à la Villa Cahuzac à Gimont, conté (c’est bien le terme) par le passionné Monsieur Pierre Dubarry, spécialiste du foie gras depuis 4 générations, rien que ça. Bien que je connaissais assez bien le sujet, me voilà de retour avec quand même quelques astuces utiles.
VILLA CAHUZAC Hôtel – Restaurant – Séminaire
1 Avenue de Cahuzac – 32000 Gimont
Tél.: 05 62 62 10 00
Étymologie
Le saviez-vous ? Le mot foie vient de figue en latin (ficus). Consultez mon billet sur l’histoire du foie gras où j’explique qu’à l’origine, il vient d’Égypte. A l’Antiquité, Égyptiens, Grecs et Romains engraissaient les oies (d’abord) et les canards avec des figues. « Jecur ficatum » signifie « foie engraissé aux figues ». Ficatum = figues a remplacé le terme classique jecur et le mot foie est resté par la suite.
Choisir le bon canard pour la bonne recette
Les canards de Barbarie sont les mieux adaptés au confit car ils contiennent plus de viande et moins de gras. En revanche, les canards Mulards, dont les foies perdent moins de graisse à la cuisson, sont à privilégier pour faire du foie gras. Pour information, le canard Mulard est un hybride, un croisement entre le canard de Barbarie et la cane de Pékin ; il est stérile et particulièrement apte à l’engraissement.
Comment choisir un bon foie gras frais
Un bon foie gras est un foie de moins de 500 g. Au-delà, cela signifie que les canards ont été surnourris. Le foie perdra donc beaucoup de graisse à la cuisson.
Le foie ne doit pas présenter des caillots de sang dans les veines, qui signifient un stress de l’animal.
Reconnaître un foie de canard mulard : le grand lobe du foie présente une excroissance de matière, alors que ce n’est pas le cas pour le foie de canard Barbarie qui lui est bien droit.
Préparation du foie gras
Sachez que cuisiner soi-même un foie gras est une course contre la montre. En effet, celui-ci doit être cuisiné moins de 5h après l’abattage du canard, ce qui garantit la conservation des arômes. De fait, vous ne trouverez la plus grande fraîcheur que dans une salle d’abattage, ce qui sous-entend que la vente sur les marchés, les supermarchés, en sous-vide nuit automatiquement à la conservation des qualités organoleptiques du foie.
Une solution pour ceux qui habitent loin de fermes productrices : la surgélation. Il faudra alors vous le faire surgeler à -40° en attendant de venir le récupérer.
Assaisonnement
Monsieur Dubarry ne fait pas partie de ceux qui plongent le foie toute une nuit dans l’Armagnac, un vin doux ou le Cognac car il trouve que cela dénature les arômes du foie.
Il préconise 15g de sel fin au kilo. Il suffit de faire une règle de 3 pour ajuster la bonne quantité au poids du foie. Il ne faut pas utiliser de gros sel ou de la fleur de sel car les cristaux ne se dissolvent pas uniformément à la cuisson (Mieux vaut proposer la fleur de sel à part, en dégustation). Toutefois, Monsieur Dubarry n’exclut pas le salage « a bisto de naz » 🙂 (à vue de nez). Saler le foie avec les phalanges extérieures afin de mieux répartir le sel.
Pour le poivre : 3 g au kilo. Le choix des poivres est important. Le conseil : opter pour un mélange de poivre de Punjab, de Madagascar et de piment de Jamaïque (qui n’est pas un piment mais une baie de poivre)
Mise en pot
Le truc, c’est de couper le foie dans sa largeur perpendiculairement (plutôt que de le tasser en l’écrasant dans la longueur)
Mettre un soupçon d’Armagnac au fond du bocal. Appuyer le premier pavé de foie contre le bocal de manière à faire remonter le sang des veines. Tasser avec les autres pavés en évitant de laisser des trous (donc de l’air). Veiller à ne pas dépasser la hauteur du fer du bocal pour sécuriser la conservation.
Cuisson
La cuisson moderne : le couscoussier ! Donc une cuisson vapeur à 95-97° pour un mi-cuit pendant 10 minutes : le foie sera pasteurisé mais pas stérilisé et pourra se conserver au réfrigérateur pendant 2 mois.
L’astuce : cuire 5 minutes de plus = conservation de 2 mois supplémentaires.
Un foie cuit 35-40 minutes pourra se conserver 1 an.
Magret
Une idée pour cuisiner le magret qui fait souvent son effet : le rôti de magret. Coller 2 magrets côté chair l’un contre l’autre. Les ficeler. Cuire au four+grill à 230-250° pendant 15 minutes d’un côté, récupérer la graisse du plat de cuisson, tourner le rôti puis remettre en cuisson pour 8 minutes de l’autre côté. Après 8 minutes, éteindre le four et terminer la cuisson four éteint pendant 7 minutes. Attendre un peu avant de le trancher (une viande cuite doit toujours reposer avant d’être dégustée). Remettre les tranches dans le plat de cuisson.
Une façon de manger le magret moins connue : couper un rectangle dans la chair et cuire à peine 2 minutes.
Magret séché
L’astuce : avant de le mettre à sécher, cuire un peu le magret uniquement côté peau, le magret va rendre de sa graisse, ce qui permet de diminuer la quantité de gras par rapport à la quantité de chair. Ensuite, quand il est refroidi, le plonger pendant 8 heures dans du gros sel. Le rincer, le sécher, le poivrer et le laisser horizontalement pendant 15 jours…non loin d’un climatiseur (pour diminuer l’humidité. En fait, le mieux est un endroit ventilé par des courants d’air) Pour les consommer plus tard, il suffit de les placer au réfrigérateur dans un linge.
Le saviez-vous ? L’oie et le canard étaient considérés au Moyen-âge comme « des volailles indignes d’une noble et spirituelle ripaille » et n’ont pas eu accès à la gastronomie médiévale ! Il faudra attendre la fin du 18ème siècle pour que le foie gras devienne l’apanage de l’aristocratie, grâce au pâtissier Jean-Pierre Clause qui créa à Strasbourg, le « pâté de Contades », une terrine de foie gras en croûte. Dès lors, le foie gras n’a jamais cessé d’être un marqueur social.
La crème brûlée au foie gras, dégustée à la Villa Cahuzac, Gimont
Un dessert surprenant à la Villa Cahuzac, Gimont : autour du cèpe (mousse, glace, chocolat…)